Let’s Talk About Death, Baby!

AJ Vallee
7 min readApr 11, 2020

Une réflexion #BeyondCovid19

Black & White photograph of a bouquet of flowers standing on a chair.
©Photo by AJVallee

Ça fait déjà quelques années que je me demande si on est collectivement prêts à vivre les deuils en rafale qui nous attendent.

Mon questionnement a émergé aux annonces successives du décès de ces gens de talentueux, pourtant encore jeunes, humbles mortels qui de leur vivant ont pour plusieurs été des héros, je pense notamment à Prince, George Michael ou David Bowie pour ne nommer que ceux-ci. Jamais dans l’Histoire de l’Humanité avons-nous côtoyé de si près nos idoles, nos modèles, ces demi-dieux ! Et pour ça, on peut remercier un contexte culturel créativement riche qui a émergé à une vitesse folle au 20e siècle, aux médias de masse développés en parallèle puis à la globalisation et, évidemment, à internet.

Mais la récente disparition de ces êtres que nous admirions tant n’est que le début de la vague qui s’annonce puisque plusieurs de nos héros, bien que toujours vivants et productifs pour plusieurs, sont maintenant des aînés, qui, qu’on veuille le croire ou non, sont appelés à s’éteindre, tel que prescrit par la Vie.

Mais plus globalement, sommes-nous près à voir disparaître la plus grande strate de la population que la Terre a connue, celle que constitue les baby boomers, parmi lesquels on compte nos idoles, soit, mais aussi nos parents. Ceux qui ont révolutionné la société pour en faire ce que nous en connaissons aujourd’hui : sa musique, ses arts, sa politique, une partie du monde en somme, pour le meilleur ou pour le pire diront certains. Ces jeunes d’alors qui ont infligé à « l’ancien monde » de tels chocs sociaux, se sont sans doute senti invincibles par tant de puissance et de liberté, mais ils font maintenant face à leur propre finalité. Et non seulement nous, qui les suivont, devons-nous faire face à l’éventualité qu’ils et elles ne seront plus parmi nous, avec la pandémie qui sévit, nous assistons à la disparition du monde que nous prenions pour acquis il n’y a encore que quelques semaines, et nous devons faire face à notre mort potentielle, y étant confronté maintenant plus que jamais.

Je n’ai pas peur de la mort, peut-être en partie parce que je l’ai embrassée à la naissance, frôlée quelques fois dans ma vie et parce que la mort, l’après-mort et d’où on vient n’étaient pas des sujets tabous dans ma famille. Je me considère chanceuse d’avoir grandie dans cet environnement où il était possible d’y réfléchir et d’en discuter sans gêne, même toute petite. Ça explique sans doute ce moto par lequel j’ai choisi de vivre, dès l’adolescence :
« I did not tiptoe through Life only to arrive safely to Death. »
Carpe Diem pis toute.

Ces sujets sont pour moi si riches qu’il serait dommage de ne pas m’y plonger de temps à autre. Mais après qu’on m’ait quelques fois accusée d’être funeste, je sais aussi que bien des gens sont inconfortables d’en parler. La Mort, la nôtre, celle de nos êtres chers, de nos animaux de compagnie, est pourtant inévitable ! N’est-il pas plus judicieux d’y faire face, d’investiguer la peur qu’on en a, et de s’en libérer pour ainsi mieux vivre plutôt que d’en porter le joug ? De participer haut et fort, joyeusement et courageusement au grand cycle de la Vie, chaque jour, de notre vivant, dans les moments sublimes comme les plus désespérants, plutôt que de traîner l’ombre de notre peur ?

Je me délecte d’avoir récemment appris l’origine du mot catastrophe - cata : coupure, en dehors, aux côtés, en dessus, et strophê [du grec ancien στροφή] : tournant. Et c’est bien une catastrophe que nous vivons collectivement alors que le coronavirus aura modifié la vie quotidienne à tel point qu’elle ne sera plus jamais la même. À bien des égards, le statu quo a été fracassé : nouvelles règles sociales, nouvelles méthodes de travail, des systèmes bureaucratiques engoncés auxquels on administre soudainement un nouveau souffle, les propulsant du coup dans un nouveau monde, moderne (enfin!) et adapté à la vie au 21e siècle!

Avec l’arrivée subite de la Covid-19, je crois que la question se pose plus que jamais : « Sommes-nous près à mourir ? » J’espère que le présent contexte social sera une opportunité d’en discuter collectivement, ouvertement, non pas pour statuer d’une seule approche, d’une seule façon de faire mais plutôt pour permettre à tous de mourir comme il et elle l’entend, pour que de notre choix, notre mort puisse refléter la personne que nous avons été ou aurions souhaité être. Qu’on puisse mourir dignement, sans mariner dans une souffrance entrecoupée d’intervales médicamenteux, sans être maintenus contre notre gré, car maintenir n’est pas vivre.

Peu importe où vous en êtes dans votre relation avec la mort, je vous encourage à visionner ce très beau documentaire, question d’aborder le thème, de strecher vos muscles du deuil un peu plus chaque jour : https://zonevideo.telequebec.tv/media/33758/mourir-c-est-la-vie/voir-autrement

Il ne faut pas sous-estimer toute la beauté et le potentiel de guérison qui résident dans le deuil. Dissimulés dans notre chagrin, ce sont les derniers cadeaux de ceux qu’on aime; ces mêmes cadeaux que nous offrirons un jour, à notre tour.

À la bonne vôtre !

Mise à jour du 14 avril 2020:

Alors que la Covid-19 se répand dans nos CHSLD comme le feu se gave de petit bois sec, notre gouvernement s’évertue à trouver des solutions au manque de personnel dans ces établissements, une situation gravissime qui survit à la succession des gouvernements.

Oui, mieux payer les gens qui prennent soin de nos parents avec dévouement et sollicitude.
Oui, former plus de gens pour vaquer à cette profession.
Mais je crois qu’il est surtout grand temps qu’on ose se pencher sur ce que ces “patients” résidents VEULENT pour EUX-MÊMES, eux, des adultes qui ont aussi été jeunes, pleins de vie et d’idées et qu’on infantilise trop souvent. Ayons le courage collectif de poser la difficile mais essentielle question à ces gens qu’on aime et qu’on tente de protéger, une question périlleuse, taboue, voire odieuse pour certains, et qui, il n’y a pas si longtemps, menait apparemment directement en enfer. Elle est pourtant vitale:
“Voulez-vous mourir?”

Si on le demandait à ces aînés parkés dans des immeubles surchauffés, souffrant dans leur corps par la maladie, dans leur coeur par la solitude, dans leur âme par l’indignité lancinante de leur état, je fais le pari que plusieurs mains blanches à la peau diaphane apparaîtraient, tremblotantes, par-dessus le garde du lit, que plusieurs bras chétifs se lèveraient un moment de l’appui de la chaise roulante. Comme le disait, étonné, ce directeur de CHSLD interviewé récemment par une journaliste qui lui demandait, une pointe dramatique, comment les aînés vivent la crise, ces gens ont un rapport à la vie et à la mort bien différent des plus jeunes, c’est normal! Plusieurs attendent que la mort viennent.

Le fait est qu’on ne s’intéresse pas suffisamment à leur réalité intime, à leurs désirs. Est-ce humain de conserver dans ces états des gens qui, pour certains, ne demandent qu’à quitter notre monde, arrivés au bout d’une vie qu’ils ont menée à leur façon, librement, travaillant, contribuant, enfantant, élevant la génération suivante?
Qui sommes-nous pour forcer un être humain à vivre?
Qui sommes-nous pour empêcher cette personne de mourir si tel est ce qu’elle souhaite?

Bien sûr que la question de l’aide à mourir en soulève une tonne d’autres, toutes plus intéressantes les unes que les autres, toutes nous tirant sur des terrains glissants. Mais il est impératif plus que jamais d’en discuter collectivement et même si des avancés pour son accessibilité ont été faits ici, il reste des contextes à inclure à la loi. Il est simplement question de choix et de liberté.

Si vous vous braqués catégoriquement contre cette possibilité, je vous demande: avez-vous déjà accompagné dans le déclin de son corps un être cher qui souhaite mourir? L’avez-vous entendu vous supplier de l’amener avec vous, larmes coulant silencieusement sur son visage alors que vous devez la laisser aux soins d’inconnus? Ou plus simplement: que souhaitez-vous avoir comme droits et libertés lorsque ce sera votre tour? Lorsque la Vie vous confinera dans vos membres que vous ne saurez plus mouvoir, dans cette peau qui vous fera mal, dans ce cerveau qui vous fera oublier ceux que vous aviez juré ne jamais oublier et qui anéantira vos fonctions vitales, lentement, à petit feu, au fil des ans et des oublis.
Séquestré, aux oubliettes de votre être.

Si on définit la dignité comme le “Respect que mérite quelqu’un ou quelque chose”, est-il si insensé de se munir d’un système permettant d’honorer, par respect, le souhait d’existence de quelqu’un, quelqu’il soit?

Il y a la Vie et la Mort, certes, mais il y a tout ce qui se passe entre les deux dans toutes les complexités possibles. J’espère que la présente catastrophe sanitaire permettra de revisiter encore plus audacieusement nos positions et nos lois sur l’aide à mourir car le grand questionnement n’est pas: est-ce bien ou mal. Non. Le grand questionnement est:
Devrions-nous être aussi libre de mourir qu’on l’a été de vivre?

--

--

AJ Vallee

Stop. Look & Listen. That’s Life happening. Sometimes en Français et parfois in English. www.ajvallee.ca